ILDIKO & AMARI.
Killer.
Chevelure au vent. Démarche assurée. Corps tout en longueur, caché de fripes.
Même de dos, il la reconnait. Il repère sa singularité. Sa simplicité. Son unicité. Ce qui a fait d’elle l’héroïne parfaite. Parce qu’il l’a trouvé très inspirante. Dès qu’il l’a aperçue. Dès qu’il s’est approché. Dès qu’il a entendu sa voix et ses douces intonations. Dès qu’elle a souri. Dès qu’il s’est, un peu, immiscé dans son quotidien.
Elle dégage quelque chose. Une sorte d’aura sur laquelle il est impossible de mettre un mot. Sa force. Ou sa fragilité.
Une héroïne que l’on voudrait protéger et sauver. Princesse des temps modernes. Une héroïne à torturer et à disséquer. Martyr d’aujourd’hui.
Ildiko Dwyer. Sa combattante à assassiner.
Qui, semblerait-il, cherche à l’éviter. Deux semaines sans la croiser. Ou sans une seule réponse à ses appels. Depuis qu’elle a appris et compris qu’elle ne serait jamais ce personnage que l’on peut rêver d’incarner. Personnalité de papier déchiqueté. Sang d’encre versée. Elle a sans doute pris peur. Peut-être un peu confondu le roman avec la réalité. Amari ne serait, alors, qu’un sanguinaire psychopathe. Qui détruit une première fois à l’écrit avant de passer à l’action, dans cette réalité effrayante. Ça l’a fait sourire, d’abord. Puis, ça l’a un peu inquiété.
Pas de nouvelle, d’aucune sorte, depuis un moment. Alors, quand il la voit, déambuler dans cette rue, il saisit l’occasion.
Et il l’appelle. Puis il l’appelle encore. Un peu plus fort. Et elle ne répond pas. Cependant, elle ne presse pas son allure pour autant. Il imagine qu’elle ne l’a tout simplement pas entendu. Dans le cas contraire, elle joue très bien la sourde indifférence.
Alors, il allonge son pas, jusqu’à presque longer le sien. Et il pose sa main sur son épaule. Terrible erreur.
S’il avait pu prédire sa réaction, il se serait sans aucun doute contenter de son silence. Qu’il aurait même jugé assez satisfaisant. Et il aurait fait demi-tour, essayant de l’attraper une prochaine fois.
Parce que, oui, elle se retourne. Certes. Et, dans le même gracieux mouvement, une arme redoutable vient lui fracasser le nez. Le port de sac à main devrait être réglementé. Et contrôlé.
Amari porte vivement sa main à son visage. Blessé. Et ferme les yeux de douleur. Quelques larmes viennent perler dans la ligne de ses cils. Réaction purement physique. Incontrôlable. Et piquante.
« Putain de merde ! » ; il hurle presque.
Difficile de surveiller ses propos. L’impulsif se réveille. Et prend la parole. Sans rien lui demander.
Il tâte, avec précaution, son nez. Douloureux. Mais pas cassé. Tout a l’air en place. Gonflé, bientôt violacé ; mais en place. Et il ne saigne même pas. Au moins un bon point.
« T’as de sacrés réflexes… »
Il dit, accrochant les yeux de cette fille sans doute un peu trop à fleur de peau. Une agressivité inopportune qu’il ne lui connaissait pas. Des réflexes dangereux, mais des réflexes quand même. Dans une autre circonstance – où elle aurait été en réel danger, par exemple – elle aurait aisément pu sauver sa vie. Une telle réaction sous-entend qu’elle craint de se faire agresser. A-t-elle déjà vécu une agression ? De qui a-t-elle peur et pourquoi ?
Il enlève sa main de son visage. Protection inutile, totalement dérisoire. La prochaine fois, il se protégera avant de se risquer à l’aborder. La sécurité avant tout.
La douleur s’estompe. Les premières secondes sont les pires. Et respirer va sûrement picoter pendant quelques jours. Mais, heureusement, il n’est pas Mary Poppins.
Il réfléchira plus tard à comment expliquer l’hématome qui ne manquera pas d’apparaître. Sauvageonne.
« T’as quoi, là-dedans ? » ; il demande.
Un parpaing. A n’en pas douter. Et peut-être quelques briques, aussi.
« Et c’est moi, le taré ? » ; il ajoute.
Il se permet un petit rire, un brin sarcastique. Qui vient flotter dans l’air. Non, parce qu’à lui, au moins, il lui arrive parfois de réfléchir avant de frapper et de défigurer des gens. Pauvres innocents.
Il souffle en essuyant ses yeux d’un revers de manche.
« Tu proposes quoi, pour te faire pardonner ? »
Il se contente d’attraper cette chance qu’elle lui offre, malgré elle, de peut-être pouvoir lui parler un instant. Qu’elle puisse et qu’elle ose enfin lui confier tout à fait ses craintes et ses doutes. Qu’il puisse, de vive voix, lui expliquer. Répondre. Et tenter de se disculper de ce qu’elle semble l’accuser d’être en refusant sa présence.
« Parce que j’ai bien une idée, en ce qui me concerne. Mais elle implique mon poing et ton visage. Pas sûr qu’elle te plaise… »
Il continue, l’air sérieux ; un léger sourire inquiétant au bord des lèvres. Il joue peut-être un peu trop de ses peurs informulées. Mais, clairement, il s’en moque. Lui, il n’a rien à se reprocher. Pour le moment.